Velomobile: traversée de la France : partie 3
Lundi 17/10 Jour 4 : Galères et découvertes
Ça commence fort
Il y a de quoi faire pour le petit déjeuner et, pour une fois, j’arrive à manger correctement. Je sais que la journée va être rude. Il me reste 192 km et presque 2200 mètres de dénivelé. Alors, il faut prendre des forces :

Je pars et ça attaque d’entrée de jeu par des petites routes et du dénivelé. J’avais imaginé économiser la batterie pour en garder un maximum pour la fin du parcours. Mais c’est juste trop dur, j’enclenche directement l’assistance, on verra bien.
J’ai à peine fait 10 km que je me retrouve bloqué dans un village. La route principale est bloquée par des travaux. Il n’y a pas de rues adjacentes, plus de trottoirs, impossible de passer. Je regarde un peu la carte et je me rends compte que j’en ai au moins pour 30 km de détour. Ça me sape le moral, mais finalement la « côte sympathie » du vélomobile me sauve. L’engin intrigue les gars du chantier et j’arrive à négocier pour qu’ils me laissent passer. C’est le premier problème de la journée, premier d’une longue série.
Crevaison
À peine ai-je fait 5 km après ce petit village, qu’une camionnette de la DDE me colle. Ça m’agace, car je ne comprends pas pourquoi ils ne me doublent pas, il y a de l’espace et de la visibilité. Elle se mettra finalement à ma hauteur pour me parler et me dire que j’ai crevé !
Pas le choix, il va falloir réparer. J’ai prévu un kit avec les outils, des rustines, des démonte-pneus, je suis paré. Sauf que je n’ai les outils que pour démonter le vélomobile, et c’est une roue de la remorque qui est crevée. Je ne suis pas équipé. Il va falloir improviser.

Fort heureusement, les mecs de la DDE sont en or. Ils me démontent la roue et ils me prêtent leurs outils. Ils me disent de les cacher dans le bois si j’ai fini avant qu’ils ne reviennent :

J’identifie facilement les trous, je dis « les », car oui j’en ai 3 ! 3 grosses pointes d’arbrisseau. Je répare tant bien que mal avec mes rustines et remonte la roue. Par contre, je galère à regonfler mon pneu. J’ai emmené une pompe à main, mais elle est très peu pratique elle fuit de partout. J’ai eu une petite pompe à main fournit avec le vélo, un truc high tech avec un manomètre, mais elle est un poil complexe. Je ne le sais pas encore, mais je serai un expert de cette pompe avant la fin de la journée.
Les mecs reviennent, j’en ai fini, je leur rends leurs outils, les remercie et je repars.
Un bonheur n’arrive jamais seul.
Je continue ma route et 10 km plus loin je me retrouve à nouveau bloqué. Ce coup-ci, c’est une route barrée pour cause de travaux. Je regarde à nouveau la carte et je suis bon pour 15 km de détour. Je tente le coup. Je me tape une montée très très raide, sûrement une des plus raides que j’ai jamais montée de ma vie à vélo. Je force comme un malade avec l’assistance au maximum. Une fois au sommet, je continue encore sur 1 km, avant de me retrouver face à un chemin de terre. Je regarde attentivement la carte et vois que 80 % du détour que j’avais imaginé est constitué de chemin de terre. Je décide de revenir sur mes pas et de tenter la route barrée. Non sans constater lors de mon demi-tour, effectué à la main, que je suis bon pour regonfler un peu ma roue fraîchement réparée.
Je redescends cette descente en appui constant sur les freins tellement c’est raide! Je suis de retour au point de départ et je m’engage sur cette route barrée. Le revêtement est très merdique, le plus merdique de tout le parcours. C’est du caillou concassé, ça dérape énormément. C’est vallonné ce qui fait que je dois quand même appuyer un peu sur les pédales. Mais pas trop sinon la roue chasse et je n’avance pas. Je sais que si la route n’est pas fermée j’en ai quand même pour au moins 2 km comme ça. Je reprends espoir quand je croise une voiture sur cette route. Si je la croise c’est bien qu’elle vient de quelque part ! Et effectivement, je rejoins une route standard un peu plus loin.
Moral au plus bas.
Tout en continuant vers Mâcon, je fais le point : la journée est déjà bien avancée et je n’ai pas fait beaucoup de kilomètres. De plus, j’ai déjà bien tapé dans la batterie. Ça va être dur. Je réfléchis sérieusement à louer une camionnette de 20m3 à Bourg-en-Bresse. Je chargerais le vélomobile dedans, je le déposerais à la Cure, je chargerais la moto, je rendrais le 20m3 et je rentrerais en moto. Voilà un plan solide ! J’en parle à Magali et elle me dit d’aller à Mâcon, de faire une vraie pause là-bas et d’en profiter pour recharger la batterie.
Mâcon → Bourg en Bresse
Je trouve une borne de recharge pour automobile à l’entrée de Mâcon où je branche ma batterie. Je m’assois près de mon vélo et me repose. Je vois alors arriver, un cycliste retraité, très intrigué par mon vélo. Puis 2 autres, puis 5… Le premier cycliste me dit que c’est leur lieu de RDV pour leur sortie du lundi. J’ai donc bientôt une quarantaine de cyclistes qui me posent tous les mêmes questions en boucle :

Ils finissent par partir. Au bout d’une heure, après avoir mangé, bu et regonflé ma roue crevée (la réparation ne tient pas bien, forcément), je repars. Fait amusant, j’ai tellement peu consommé d’électricité sur cette borne que, à ce jour, je n’ai toujours pas été facturé. J’ai dû regagner une dizaine de pourcents sur ma batterie.
Je galère comme pas possible à sortir de Mâcon, je suis en plein centre historique et c’est un dédale de rues à sens unique et de rues en travaux. Une fois la traversée finie, je reprends sur un bon rythme, en ayant récupéré un peu de batterie et un peu de peps. Je me dis que ce n’est finalement pas une si mauvaise stratégie et que je dois pouvoir faire la même chose à Bourg en Bresse. A 10 km de cette ville, je repère une borne gratuite sur le parking d’un Leclerc. Je pourrais ainsi faire quelques courses. Sauf qu’une fois sur place, je me rends compte que la borne est réservée aux possesseurs d’une carte Leclerc, carte que je ne possède pas. Je cherche une borne un peu plus loin et j’en trouve une sur mon itinéraire à Corveissiat. Il y a deux cols entre, mais ils me paraissent faciles par rapport à la montée finale de St-Claude.
En route vers Corveissiat.
La partie plate après bourg en Bresse se passe relativement bien. J’attaque ensuite le premier des deux cols : le col de France. C’est excessivement dur, les jambes ont du mal et la batterie est bien entamée (déjà 50km depuis ma pause de Mâcon). J’essaye d’en garder un peu pour le deuxième col. J’envoie un message à Magali pour qu’elle loue un camion de déménagement aux Rousses. Je ne me vois pas terminer, c’est beaucoup trop dur.
Je fais une pause au col et j’ai encore droit à des demandes de photos et à des questions. Je prends le pli de l’attraction que je suis. J’en profite pour appeler Magali et j’apprends qu’elle a dû taper un sprint pour choper son train à l’heure. Elle a réussi et elle devrait arriver suffisamment tôt chez nous pour louer une camionnette.
Je repars avec pour objectif final Corveissiat. La borne que j’avais repérée est à un resto qui ferme à 18h45 (c’est pas commun) et mon heure d’arrivée prévue est de 18h00. 45min de recharge de batterie c’est toujours ça de pris. J’attaque le col final avant Corveissiat et c’est beaucoup trop dur. Je force comme un malade pour avancer à 4 km/h. La batterie se vide petit à petit jusqu’à être vide. J’arrête les frais, à cette vitesse-là autant pousser.
Je me mets donc à pousser, pensant qu’il ne me reste pas beaucoup à faire, peut-être 1 ou 2 km. Je pousse donc, en soulevant le vélo tous les 5/10 mètres pour ajuster ma trajectoire. C’est affreusement long, je n’en vois pas le bout. Je pousse depuis peut-être 30 min quand j’arrive dans une épingle avec un trottoir. Je m’aperçois alors qu’il faut que je regonfle ma roue crevée. Je me gare et commence à regonfler cette roue. Je suis donc assis en tailleur, sur un trottoir d’un mètre de large dans une épingle de col.
Je vois une camionnette de chantier, descendre du col, me dépasser, puis faire demi-tour 200 mètres plus loin pour revenir vers moi. Le mec se gare à 40 m et me donne une bombe anti-crevaison pour m’aider. On discute un peu et puis il me demande le poids de l’engin. Quand il apprend que c’est seulement 35 kilos, il me propose de charger le vélo dans son camion et de m’emmener à Corveissiat. Incroyable, je n’osais même pas y croire, pensant son camion rempli de matériel. On arrive à y faire suffisamment de place pour le vélo et la remorque. Il calfeutre ça tout proprement avec des couvertures pour ne pas l’abîmer ! J’hallucine complètement. Faire du stop c’est pas simple, faire du stop en vélo bon courage, mais alors du stop en vélomobil avec une remorque, on est sûrement sur une première mondiale !

Je termine le col en camionnette (ce qui explique le 50 km/h de vitesse à la fin de l’ascension dans Strava) et je constate qu’il me restait encore bien 3 km jusqu’à la bascule. J’aurais définitivement été zéro sur mes estimations tout le long du voyage. Je remercie mon chauffeur et lui rends sa bombe anti crevaison. Il repart finalement dans le bon sens pour rentrer chez lui. Je suis à Corveissiat, il est 19 h. Je reprends des nouvelles de Magali. Je me fais copieusement réprimander, car je n’ai pas donné de nouvelles depuis le Col de France, effectivement ça fait quelques heures. Elle n’a pas pu louer de camionnette, car la livraison était impossible sur le site. Elle est donc en route en 308 avec la boite à outils, une corde et des victuailles.
Le resto que j’avais repéré est bien évidemment fermé, pour longtemps vu l’état des lieux. Mais par chance la prise est en extérieur et elle est fonctionnelle, un peu de chance ne fait pas de mal. Je mets ma batterie à charger, car je sens que le retour va être épique. Il commence à faire nuit et il y a un vent d’enfer. Je dois reprendre des forces. Je décide donc de dormir 20 minutes dans le vélomobile bien à l’abri. Je sors de là en pleine forme et je démonte le vélo avec l’espoir naïf de le faire rentrer dans la 308 :

Redécouverte.
Magali arrive et on constate rapidement que ça ne va pas le faire, c’est impossible de faire rentrer cet engin dans la 308. Il faut donc remonter le vélo :


On met tout ce que l’on peut dans la voiture : les affaires, la remorque, tout le superflu. Je remonte les différentes pièces et je repars direction St-Claude à la force des jambes.
Et quelles jambes ! Délesté de près de 30 kilos, reposé et avec de la batterie, je suis en super forme. J’atteins enfin les 30 km/h de moyenne (malgré la pente ascendante), je redécouvre totalement mon WAW. J’ai des performances de fou, ça augure du bon pour le trajet domicile-travail.
On arrive à St-Claude et ça se met à monter sérieusement. Je me range à 1 km de la ville et je commence à démonter l’avant du vélo pour mettre en œuvre le plan B imaginé la veille. On est au milieu de nulle part, à 150 m d’un Noz, vers 23h00, quand 3 gendarmes débarquent. Ils nous demandent ce que l’on fait. J’ai pas envie de leur expliquer ce que je fais vraiment, je leur dis juste que j’ai un problème mécanique, que je répare et que Magali m’accompagne, car on retourne aux Rousses. Je désamorce tout de suite leurs questions en précisant qu’il s’agit d’un vélo. L’un des gendarmes connaît les vélomobiles et ils ne nous posent pas plus de questions. Ils repartent au bout de quelques minutes en nous souhaitant bon courage.
Mise en œuvre du plan B.
Note pour ma mère: ne te sens pas obligée de lire ce passage. Bisous
Cette cascade a été réalisée par des professionnels, ne tentez pas de la reproduire chez vous.
Le col après St-Claude est vraiment difficile, c’est un vrai col. On parle de 15 km avec 750 m de dénivelé. C’est peut-être pas grand-chose pour des cyclistes endurcis, mais en vélomobile avec 4 jours dans les pattes, c’est pas la même.
Le plan est très simple, on démonte l’avant du vélomobile. Magali a acheté une corde de 10 m le midi même pouvant supporter 1 tonne de traction. On accroche avec une corde souple l’avant du vélomobile (c’est un gros triangle en profilé aluminium, c’est solide) au crochet de remorquage de la 308. Je m’emmitoufle dans plusieurs couches de vêtements, je m’installe dans le vélomobile et elle me tracte pendant toute la montée.
Ainsi, je peux diriger l’engin dans les virages et je peux freiner au besoin pour éviter que le vélomobil ne s’encastre dans la voiture. Bien entendu, je reste en contact téléphonique permanent avec Magali. On double finalement la corde, car 10 m c’était trop long, si quelqu’un arrivait dans le dos il risquait de ne pas bien me voir.
On résume :
- je suis à 5 m d’une voiture
- je n’ai aucune visibilité sur la route
- je suis aveugle car Magali a les warnings tout du long
- l’avant du vélo est enlevé
- je me pèle le jonc
- j’ai les jambes serrées au maximum contre moi ce qui est particulièrement inconfortable
et on en a pour au moins une demi-heure !
Bien entendu, si elle freine fort sans me prévenir, je m’encastre dans la voiture et les conséquences peuvent être dramatiques. C’est pas un effet de style, je n’ai pas de ceinture, pas de carrosserie : il y a rien ! Ce n’est même pas une situation où tu te brises les jambes et ça sauve le reste.
On décide de ne pas dépasser les 30km/h. Vu que les 15 km sont entièrement en montée, la corde restera en tension et ça devrait bien se passer.
Ça, c’est la théorie, car je me suis arrêté avant St-Claude. Donc, il faut déjà traverser la ville avec ses priorités à droite, stop et autres feux rouges.
On se lance en testant un peu et ça se passe plutôt bien. Je me prends quelques à-coups, j’ai quelques frayeurs lors de freinages mais finalement, une fois que l’on sort de St-Claude, on a nos marques.
J’ai vraiment eu peur tout du long, on ne faisait pas les malins avec Magali. Ça a duré une éternité. Par chance, on n’a croisé personne et notre liaison téléphonique n’a pas coupé. J’ai passé une demi-heure pas loin des crampes au niveau des jambes, complètement tétanisé sur les commandes, les mains sur les freins prêts à réagir.
À ce jour c’est la situation la plus stressante que j’ai vécue… enfin égalité avec ma collision deltaplane/ parapente.
On arrive sans encombre à Lamoura. Le plus dur est enfin fait.
L’arrivée.
On décroche notre attelage, je remonte le vélo et c’est parti pour les derniers kilomètres. Le début est une purge sans nom. Je suis à l’agonie, je n’ai plus de batterie et je n’ai rien dans les jambes. Sûrement le contrecoup du stress. Je suis à 4 peut être 5 km/h et je plains Magali qui me suit en voiture. Je me dis qu’à ce rythme-là on en a littéralement pour 3 h. Il est minuit passé, on bosse demain, je ne peux décemment pas infliger ça à une femme enceinte.
Je me sors donc les doigts et je donne tout ce que j’ai, je connais un peu la route et je sais que le début est en légère montée mais après c’est plat et ça remonte juste un peu dans les 300 derniers mètres. Un peu d’entrain que diable.
Je pensais que c’était plat, mais ça ne l’est pas. C’est fou comme on ne ressent vraiment pas les faux plats en voiture. Une fois la bosse avalée ; c’est en fait un long plat descendant. Enfin une bonne nouvelle. C’est vraiment long, tellement long que je tape le record de vitesse de tout le voyage : 85,9km/h ! Magali n’est même plus dans les rétros, elle a disparu, elle n’a aucune chance à cette vitesse.

Galvanisé par ce record et l’arrivée toute proche, j’avale les derniers kilomètres sans encombre. J’arrive à la Cure. Il est 0h40.
Un homme heureux :

Je range le vélo dans le garage, on mange, on se douche et on dort.
Statistiques
Charolles -> La Chapelle du Mont de France -> Sainte Cécile -> Mâcon -> Polliat -> Bourg en Bresse -> Jasseron -> Corveissiat -> Saint Claude -> Lamoura -> La cure
| Partie | Strava | Temps | Kilomètres | Dénivelé | Moyenne |
|---|---|---|---|---|---|
| Lundi 1/6 | lien | 3h20 | 59.29km | 812m | 17.7km/h |
| Lundi 2/6 | lien | 3h26 | 57.36km | 659m | 16,7km/h |
| Lundi 3/6 | lien | 0h35 | 18.65km | 145m | 31.5km/h |
| Lundi 4/6 | lien | 0h36 | 13.2km | 157m | 21.5km/h |
| Lundi 5/6 | oubli1 | 0h20 | 5km | 4m | 15km/h |
| Lundi 6/6 | oubli2 | 0h46 | 23.3km | 79m | 30km/h |
| Total | N/A | 9h23 | 176.8km | 1856m | 18.8 km/h |

Pas tant de bornes que ça pour cette dernière journée, mais le dénivelé et les aléas m’ont bien compliqué la tâche.
On distingue très clairement sur la courbe le moment où j’ai poussé dans le vélo. C’était plus facile pour les jambes mais plus dur pour le cœur.